Ce sont des motifs que patiemment la main recommence, comme autant d’images qu’on épuise à force de les évoquer. Une sorte d’album mental de lieux, de choses, de visages qui n’ont besoin d’existence ailleurs que dans le regard.
C’est, au fond d’un paysage, une pauvre structure en pierre, mais qui a retenu l’attention. C’est un bateau que l’incendie consume sur une mer impassible. C’est un visage familier sans que l’on sache dire à qui il appartenait.
Le spectacle silencieux de lignes et de couleurs anonymes offertes en partage, dans l’accident d’une perspective dont il s’agit de rejouer une fois de plus l’agencement.
Faire de ces compositions, qui dans leur nudité pourraient aussi bien n’être qu’amas de formes abstraites, pures constructions géométriques – la disposition des traits d’un visage, l’ordre rustique d’une architecture abandonnée, la coque générique d’un bateau et le désordre d’une incandescence – le prétexte d’un jeu plus incarné. Celui des couleurs et celui de la touche, celui des textures sans cesse recommencées.
Et alors enlever, retirer ce qui, il n’y a pas si longtemps, avait encore un nom. Continuer de repeindre les arbres, les murs, le ciel, la mer, le bateau, les visages, avec des teintes chaque fois différentes, dans un enchevêtrement de couches picturales toujours altérées. Non tant, à la manière de Monet, ses meules ou ses cathédrales, pour saisir la nuance d’une atmosphère subtilement mouvante, noter les conséquences, dans l’œil, des évolutions climatiques et de la variation de la lumière, mais plutôt comme Albers et ses études de couleurs pour un Variant/Adobe de la fin des années 1940, puis plus tard ses hommages au carré, pour pouvoir, changeant tout et ne changeant rien, laisser la couleur consumer le motif, et voir ce qui finalement demeure.
Grégoire Lubineau (Octobre 2022)